Brian Mulroney a été l’artisan d’une réconciliation entre le Canada et la Francophonie

Pour Mulroney, la présence du Canada lors du premier sommet de la Francophonie représentait une reconnaissance mondiale du multiculturalisme qui caractérise le pays.

Mulroney-Reismann_Shill. Foto: Joshua Sherurij
Mulroney-Reismann_Shill. Foto: Joshua Sherurij (Wikimedia Commons)

L’Organisation internationale de la Francophonie, communément appelée Francophonie, représente les pays et régions francophones du monde entier.

Malgré les critiques persistantes sur sa nature bureaucratique, les origines de la Francophonie remontent à la création de la première agence multilatérale francophone au Niger, en mars 1970. Cette organisation est née d’un débat politique et d’un consensus.

Flag of La Francophonie. Five circular arcs of different colors symbolizing 5 inhabited continennts
Foto: Wiki Commons

La Francophonie, qui célèbre le 20 mars le 26e anniversaire de la Journée de la langue française, aussi appelée Journée internationale de la francophonie, devait à l’origine se limiter à un rôle de promotion culturelle et linguistique et éviter tout conflit diplomatique.

À la suite du fameux « Vive le Québec libre » du général Charles de Gaulle sur le Québec, en 1967, le gouvernement de Pierre Trudeau s’est montré hostile à la présence d’une délégation québécoise autonome lors des rencontres internationales de la Francophonie.

Bien que le président centriste français Valery Giscard d’Estaing se soit engagé dans un rapprochement avec le Canada, les relations diplomatiques entre la France, la Francophonie et le gouvernement canadien sont restées glaciales jusqu’à ce que feu Brian Mulroney devienne premier ministre.

 

Une transition politique en France et au Canada

L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en France en 1981 a eu pour objectif de donner à la Francophonie un rôle géopolitique plus affirmé.

Au Canada, Brian Mulroney remporte en 1983 la direction du Parti progressiste-conservateur et devient député fédéral après avoir remporté une élection partielle en Nouvelle-Écosse. Un an plus tard, il devient premier ministre à la suite d’une victoire écrasante.

Mulroney venait de Baie-Comeau, une ville minière de la Côte-Nord du Québec. Ses racines à la fois anglophones et québécoises, ainsi que sa reconnaissance de la spécificité du Québec, ouvriront la voie à l’amélioration des relations entre le Canada, le Québec et la France. Son mandat de premier ministre marquera ainsi un tournant dans l’approche du Canada à l’égard de la Francophonie et de ses relations avec la France.

Dans sa biographie publiée en 2007 Mémoires, Mulroney témoigne de son respect pour Mitterrand, car ce dernier a souhaité réparer les dommages causés par De Gaulle dans les relations entre la France et le Canada. Mulroney tient à souligner également dans cet ouvrage que, pour sa part, il a voulu rejeter l’héritage de Trudeau, qui avait choisi une stratégie de confrontation entre le Canada et le Québec.

En novembre 1984, Mitterrand envoie son premier ministre Laurent Fabius au Canada pour renforcer les liens entre le Canada et la France.

Afin de balayer l’héritage gaulliste, Fabius lance dans son discours à la Chambre des communes un « Vive le Canada ! ». Cette stratégie sera reprise par Mitterrand dans le but de rééquilibrer les relations entre les deux pays.

 

Le Sommet de Versailles

Pour Mulroney, la présence du Canada lors du premier sommet de la Francophonie représentait une reconnaissance mondiale du multiculturalisme qui caractérise le pays.

Le premier sommet de la Francophonie a eu lieu à Versailles en 1986 et le Canada y a joué un rôle important. Dans les années 1970, l’organisation avait pris soin d’éviter de provoquer de nouvelles tensions entre le Québec et le Canada, mais l’élection de Mulroney était un signal clair pour aller de l’avant avec l’organisation multilatérale.

Pour Mulroney, la participation du Canada au premier sommet de la Francophonie symbolise la reconnaissance mondiale du multiculturalisme du pays. C’est pourquoi il s’était évertué à convaincre les provinces du Québec et du Nouveau-Brunswick de participer au sommet.

Lucien Bouchard, ambassadeur du Canada en France à l’époque, jouera un rôle actif dans les coulisses du premier sommet afin de rapprocher la France et le Canada. Dans ses Mémoires, Mulroney rend effectivement hommage au travail acharné de Bouchard dans la préparation du sommet.

De nombreux experts estiment que le sommet de Versailles a renforcé l’impact géopolitique des institutions de la Francophonie.

Les chefs d’État et de gouvernement réunis à Versailles en 1986 ont accepté la proposition de Mulroney d’accueillir un deuxième sommet au Québec.

Pour Mulroney, il était normal que le Québec joue un rôle de premier plan dans le monde francophone.

 

Le Sommet de Québec

Le deuxième sommet de la Francophonie, qui s’est tenu à Québec en 1987, a également été l’occasion de resserrer les liens entre la province et le reste du Canada.

Mulroney a entretenu des relations amicales avec Robert Bourassa, le premier ministre du Québec de l’époque, bien qu’il ait précisé que, même si la province de Québec avait des liens étroits avec les nations francophones, seul le premier ministre canadien pouvait parler au nom du Canada lors des sommets de la Francophonie.

L’année 1987 a été importante pour le leadership international de Mulroney, puisqu’il a également accueilli le sommet du Commonwealth à Vancouver. Il a notamment utilisé ses talents de diplomate au cours de ce sommet pour condamner de nouveau le régime de l’apartheid en l’Afrique du Sud.

Pour Mulroney, la Francophonie et le Commonwealth étaient des arènes, des lieux de débat, qui pouvaient facilement servir à transmettre des messages diplomatiques forts au monde.

Alors que Mulroney se prépare pour le Sommet de la Francophonie de Québec, l’Accord du lac Meech reconnaît la province comme une société distincte. Bien que l’accord ne soit jamais entré en vigueur, il confirmait l’engagement de Mulroney en faveur de la réconciliation entre le Canada français et le Canada anglais.

Reconnaître la spécificité du Québec et jouer un rôle actif dans les institutions de la Francophonie faisaient effectivement partie du même programme de Mulroney.

 

Fier d’être Canadien et francophile

Lors des sommets ultérieurs de la Francophonie, les déclarations du Canada seront souvent adoptées par les autres nations francophones. C’est ainsi qu’au sommet de Dakar en 1989, le Canada a demandé et obtenu l’effacement d’une partie de la dette publique des pays africains membres de la Francophonie.

L’ancien journaliste et premier secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique de la Francophonie, Jean-Marc Léger, est considéré à juste titre comme l’un des artisans de la création de la Francophonie, aux côtés de ses fondateurs Léopold Sédar SenghorHamani Diori, le prince Norodom Sihanouk et Habib Bourguiba.

Mulroney devrait sans aucun doute être ajouté à cette liste. Le défunt premier ministre a contribué à transformer l’organisation en l’entité géopolitique importante qu’elle est aujourd’hui.

This article was originally published at The Conversation in English by Christophe Premat
Brian Mulroney should be recognized for increasing the impact of the Francophonie

 

Pour en savoir plus sur la recherche

 

Christophe Premat, maître de conférences en études culturelles. Photo : Rickard Kilström
Christophe Premat, maître de conférences en études culturelles. Photo : Rickard Kilström

Christophe Premat est maître de conférences en français, spécialisé dans les discours politiques liés au monde francophone au Département d'Études Romanes et Classiques (Romklass), et il est également directeur du Centre d'Études Canadiennes à l'Université de Stockholm.
L'article "Brian Mulroney devrait être reconnu pour avoir accru l'impact de la Francophonie" été initialement publié par The Conversation le 12 mars 2024.
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L'article est basé sur un article de recherche publié dans la revue Études Canadiennes sur "la stratégie francophone de Brian Mulroney".

Références
Premat, C. (2023). La stratégie francophone de Brian Mulroney. Études canadiennes / Canadian Studies, 95.
Pour une approche critique de l'organisation de la Francophonie, voir Premat, C. (2018).Pour une généalogie de la francophonie. Stockholm : Stockholm University Press.

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