
Du 30 juin au 2 juillet 2025 s’est tenu à Kinshasa un événement majeur pour les dynamiques politiques et culturelles africaines : le Congrès panafricain des jeunes pour un éveil patriotique. Organisé à l’initiative de la Représentation des étudiants du Congo (REC) et du Centre culturel de l’Afrique centrale. Ce rassemblement a réuni des acteurs engagés autour de grandes causes panafricaines.
Il s’est inscrit dans une double temporalité marquante : les violences persistantes dans l’est de la RDC et le centenaire de la naissance de Patrice Lumumba. Ce dernier reste une figure tutélaire du panafricanisme, invoquée comme symbole de résistance et de souveraineté.
Lumumba est né en juillet 1925 au Congo belge (actuelle RD Congo), et mort en 1961 au Katanga. Il fut dirigeant du Mouvement national congolais (MNC) et premier Premier ministre du Congo indépendant en 1960. Il incarnait le nationalisme africain et le panafricanisme, menant la lutte contre la colonisation belge pour transformer le Congo en république souveraine.
Soupçonné d’alignement à gauche dans le contexte de la guerre froide, il fut renversé, arrêté puis assassiné en janvier 1961 avec la complicité de dirigeants congolais et de puissances étrangères, y compris la Belgique et les États‑Unis.
Plusieurs décennies après sa mort, il reste une figure majeure de la mémoire collective africaine, célébrée pour son courage, sa vision d’une Afrique libre et sa dénonciation des dominations néocoloniales.
En tant que spécialiste des théories postcoloniales, il me semble essentiel de comprendre que la figure de Patrice Lumumba ne se limite pas à une mémoire strictement héroïque. Elle devient un levier actif pour repenser les enjeux contemporains de souveraineté, d’éducation et de diplomatie culturelle en Afrique.
Ce contexte a offert un espace inédit d’expression à une nouvelle génération de penseurs, militants, croyants et étudiants africains, porteurs d’un discours panafricaniste renouvelé, pluraliste et de plus en plus structuré.
Lumumba comme catalyseur
Le choix des dates n’a rien de fortuit. Lumumba reste une figure emblématique de la souveraineté africaine, de la lutte contre l’impérialisme et de l’indépendance des esprits. La RDC a marqué son centenaire par une série d’événements commémoratifs, avec le soutien de plusieurs pays, dont la Russie.
À Kinshasa, un dépôt de gerbe a été organisé devant la stèle du héros national et un programme d’expositions et de conférences est prévu jusqu’en juillet 2026.
Le Congrès panafricain s’inscrivait pleinement dans ce contexte mémoriel. Loin de se contenter de célébrer une icône, les participants ont cherché à réactiver la pensée de Lumumba à travers des revendications concrètes, tournées vers l’avenir. Parmi elles, la proposition de créer un institut panafricaniste Patrice-Émery Lumumba, destiné à structurer l’enseignement et la diffusion des idéaux panafricains auprès des jeunesses africaines.
Une parole étudiante plurielle et offensive
L’un des traits les plus marquants du congrès a été la centralité de la jeunesse dans les interventions. Le congrès est ainsi apparu comme une plateforme d’affirmation politique où les étudiants ont pris acte de leur responsabilité civique.
Au-delà du contexte congolais, le congrès a permis de faire émerger une parole collective qui interroge les modèles éducatifs africains, la marginalisation des figures historiques locales et la persistance d’une domination culturelle.
Panafricanisme spirituel et souverainetés multiples
Un autre aspect novateur du congrès a résidé dans la place accordée aux dimensions religieuses et spirituelles spécifiquement africaines. Des représentants de la spiritualité Vuvamu, issue de traditions africaines anciennes, ont souligné la nécessité d’une décolonisation intégrale, incluant la pensée religieuse.
L’idée selon laquelle l’Afrique ne peut être politiquement souveraine sans être d’abord culturellement et spirituellement indépendante a traversé plusieurs prises de parole.
Longtemps marginalisé dans les discours panafricanistes classiques, ce registre tend aujourd’hui à s’imposer comme un axe fort de mobilisation. Il implique à la fois la réappropriation des références culturelles endogènes et l’autonomie des institutions religieuses face aux tutelles extérieures, qu’elles soient ecclésiastiques, missionnaires ou issues de puissances étrangères.
Cette pluralité des approches — politique, éducative, mémorielle, spirituelle — témoigne de la vitalité d’un néopanafricanisme qui refuse la simplification idéologique. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer l’impérialisme ou d’appeler à l’unité africaine de manière incantatoire. Il s’agit désormais de proposer des instruments, des espaces et des méthodes pour construire une souveraineté active et plurielle.
Vers un soft power panafricain ?
La proposition d’un institut panafricain Patrice-Émery Lumumba, portée par des figures comme Kemi Seba, marque un tournant important : le passage d’un discours contestataire à une volonté d’institutionnalisation. Ce projet, pensé comme un levier de formation, de diffusion culturelle et de diplomatie populaire, participe à l’émergence d’un véritable soft power panafricain.
Ce nouveau pouvoir d’influence s’appuie sur les mémoires locales, les récits de résistance, la mobilisation des jeunesses, les langues africaines, les spiritualités endogènes et la critique active des héritages coloniaux. Il ne s’exerce pas du haut vers le bas, mais depuis les marges, dans une logique ascendante, souvent à contre-courant des canaux institutionnels traditionnels.
Le centenaire de Lumumba agit ici comme un déclencheur. En rendant hommage à celui qui a incarné le refus de la soumission politique, les acteurs du congrès réactivent une mémoire vivante et performative. La figure de Lumumba ne sert pas uniquement à construire une identité nationale, mais bien à fédérer des projets transnationaux, à l’échelle continentale.
Une diplomatie alternative est-elle en train d’émerger ?
À travers ce congrès, ce sont aussi les limites des institutions francophones classiques qui se trouvent indirectement interrogées. Ni l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ni l’Union africaine, ni les grands bailleurs multilatéraux ne figuraient parmi les partenaires ou intervenants de l’événement. Cette absence n’a pas empêché la tenue d’un rassemblement structuré, mobilisateur, et à haute portée symbolique. Bien au contraire : elle a renforcé l’idée qu’une autre diplomatie africaine, moins verticale, plus enracinée dans la société civile et les réseaux associatifs, peut exister et rayonner.
Début juin, l’OIF a mené une mission en RDC pour évaluer la situation politique et les violences dans l’est du pays. En parallèle, un congrès organisé à Kinshasa par des étudiants et acteurs culturels a mis en lumière des enjeux négligés. Parmi eux : l’éducation souveraine, la mémoire historique, la spiritualité africaine et le rôle central de la jeunesse dans l’avenir du continent.
Ces thématiques s’inscrivent dans une diplomatie alternative qui mobilise les récits, les corps, les rituels, les affects — autant de ressources d’un soft power panafricain en formation.
Kinshasa 2025 pourrait ainsi rester dans l’histoire non seulement comme un élan générationnel, mais aussi comme un jalon vers un modèle d’action géopolitique et culturelle post-institutionnelle, porté par les jeunesses africaines, et non plus simplement au nom d’elles.
Le Congrès panafricain de Kinshasa a mis en lumière une recomposition profonde du discours panafricaniste en Afrique francophone. Loin des nostalgies ou des rhétoriques figées, ce rassemblement a montré que les jeunesses africaines entendent proposer leurs propres modèles de souveraineté, de mémoire et de diplomatie.
En convoquant Lumumba à l’aube de son centenaire, les participants n’ont pas seulement rendu hommage à une figure historique. Ils ont affirmé la nécessité de penser un avenir panafricain qui ne soit pas dicté par les anciens centres du pouvoir, mais qui prenne racine dans les dynamiques populaires, éducatives et culturelles du continent. Ce moment constitue peut-être l’amorce d’un nouvel âge du panafricanisme : plus horizontal, plus pragmatique, mais tout aussi ambitieux.
Pour en savoir plus sur la recherche

Christophe Premat est Professeur en études culturelles francophones, spécialisé dans les discours politiques liés au monde francophone au Département d'Études Romanes et Classiques (Romklass). Il est directeur du Centre d'Études Canadiennes à l'Université de Stockholm.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.